L'étanchéité des montres

 "L'étanchéité des boitiers a sans doute été la découverte la plus révolutionnaire" 

Lorsqu'on demande à des horlogers quelle invention horlogère a révolutionné le XXe siècle, ils réagissent souvent avec perplexité pour finir par dire : le quartz. Pourtant, l'étanchéité des boitiers a sans doute été la découverte la plus révolutionnaire qui ait permis aux maisons et aux maîtres horlogers de se libérer de certaines contraintes et d'inventer, incidemment, certaines des montres les plus célèbres de l'histoire des montres-bracelets. En plus de permettre leur utilisation en toutes circonstances, l'étanchéité a nettement contribué à en améliorer la résistance et la durée de vie. Cette innovation primordiale a contribué à modifier le cours du temps...

L'histoire de l'étanchéité des montres : 


On sait que jusqu'au début du XXe siècle, l'idée de protéger une montre des agressions de l'eau sous forme liquide ou en suspension dans l’air sous forme gazeuse, n'a pas été la priorité des horlogers, sinon des fabricants de chronomètres de marine déplorant que leurs instruments embarqués sur des navires de haute mer soient exposés aux érosions salines.

Historiquement, l'étanchéité est devenue incontournable quand les garde-temps sont passés de la poche au poignet, lors du premier conflit mondial. Inadaptés à un emploi tout terrain, ils ont subi l’outrage de l'eau et des poussières qui s'infiltraient au cœur des mécanismes. Toutefois, un horloger britannique du nom de John Harwood, soldat de la Grande Guerre durant la bataille de la Somme, mesura à quel point, sous le déluge de fer et d'acier, posséder une montre fiable en toute situation et étanche pouvait s'avérer décisif.

Démobilisé, cet habile concepteur, persuadé du caractère vital de sa mission, déposa en 1923 un brevet concernant une montre à remontage automatique capable grâce, à une construction se passant de tige de remontoir traversant la carrure, de résister aux intrusions de poussières et, par incidence, aux projections d'eau. Un mécanisme permettant le remontage grâce aux mouvements du porteur devait contribuer à limiter les manipulations susceptibles de provoquer une infiltration d'eau ou de particules nuisibles dans l'enceinte confinée du mouvement.

A peu près au même moment, Hans Wilsdorf, fondateur de la Manufacture Rolex, réfléchissait à des solutions techniques pour accroître la résistance des montres utilisées par des militaires ou des expatriés souvent britanniques – basés dans des colonies situées dans des régions tropicales humides, subéquatoriales ou les pays subissant les pluies de mousson dévastatrices – à des taux d'humidité de 95 à 98%. En 1926, après de nombreuses recherches pour trouver la solution à la fois la plus simple et la plus efficace, il déposa un brevet protégeant l'invention d'une couronne de remontoir vissée sur un tube assujetti au boitier, dont les parties indépendantes les unes des autres formaient, après vissage sur un joint installé au fond de la couronne, un tout strictement étanche. Grâce à ce système breveté d'une étonnante simplicité, qui ressemble très fortement aux collets vissés sur écrou borgne que les plombiers posent pour étancher un tuyau, Rolex prenait trente ans d'avance sur la concurrence dans le domaine de l'authenticité.

Comme la manufacture avait déjà à cette époque un singulier tale pour la communication, elle valida son invention et l'imposa au monde en la passant au poignet de Mercedes Gleitze, une jeune Anglaise qui accomplit en 1927 un exploit individuel en traversant la Manche à la nage. Visionnaire, Hans Wilsdorf avait pressenti que l’invention de l'étanchéité ouvrait la voie aux montres de sport, à destination du "sexe fort" comme du "beau sexe"...


Dans les années 30, il restait à en généraliser l’emploi. La Seconde Guerre mondiale et le retour à la paix, avec l'envie de la jeunesse de vivre des aventures humaines enrichissantes, allait offrir le cadre à cette expansion à travers une nouvelle activité rendue accessible à tous grâce à l'invention par Cousteau et Gagnan du détendeur – celui-ci permettant à un plongeur de se passer des Iourds scaphandres pour découvrir les fonds sous-marins.


Dans le même temps, les marques concurrentes, fâchées de s'être fait coiffer au poteau, réagissaient en présentant leur vision de la montre de plongée. Ainsi, Omega édita en 1932 la "Marine", dont le double boîtier rectangulaire fut éprouvé en 1937 à 135 mètres et revint 80 ans plus tard sur le devant de la scène sous la référence N°7 de la Collection "Museum".

Puis, dans les années 50, elle lança la collection "Seamaster" avec le succès que l’on sait en raison notamment d'un rapport qualité-prix très attractif à l’époque. Toujours dans les années 30, la maison Mido proposa sa version étanche à l'aide d'un joint de liège, tandis que Cartier osait pour le Pacha de Marrakech une montre à cabochon vissé sur la couronne, pour que le potentat local puisse se baigner en piscine sans avoir à l’ôter.

Ce type de construction (couronne encapsulée sous un bouchon vissé) fut retenu par différentes manufactures dont Zenith, Movado, Longines pour des usages militaires ou associés. Toutes les maisons s'y mettaient, conscientes du caractère stratégique de l'étanchéité des montres lors de la conduite d'une guerre moderne. Et à la fin des années 1930, elles savaient qu'elles recevraient commandes... Les armées avaient besoin pour leurs troupes d'élite d'instruments horaires fonctionnant sur tous les terrains d'opérations.

Car il en allait de la coordination des opérations, de l'effet de surprise et, dans bien des cas, de la victoire. Au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, la marque américaine Hamilton proposa pour les troupes US des montres résistant à l'humidité. Dans le même temps, l'armée italienne, plutôt que de faire appel à des montres d'exportation, commanda à la société florentine Officine Panerai des montres spéciales et étanches pour en équiper ses nageurs de combat. Classés "Secret Défense", ces instruments de mesure du temps découverts par le grand public après les années 1990 évoluèrent pour recevoir, en 1942, un système dit "à déclic" permettant de garantir les pièces jusqu'à 200 mètres grâce à la compression de la couronne sur son joint à l'aide d'un levier intégré au pontet de protection.


La santé par le sport :


Une fois la paix revenue, à la fin des années 1940, les montres résistant aux projections d'eau et étanches à la poussière devinrent incontournables, car elles représentaient le premier pas d’une réflexion globale visant à améliorer la fonctionnalité des instruments horlogers.

Pour répondre aux attentes d’une génération à qui il fallait faire oublier les affres de conflits dévastateurs, de plus en plus de marques produisirent des montres étanches que les aventuriers choisissaient pour leurs qualités brutes. Ainsi, le modèle Eterna, porté sur le radeau Kon Tiki en 1947 par l'aventurier Thor Heyerdahl lorsqu'il découvrit le peuplement des Iles de l’Océan Pacifique par des populations amérindiennes, inaugurait une nouvelle ère en matière de résistance à l'environnement extérieur.

Très vite, les montres étanches gagnèrent leurs quartiers de noblesse en étant portées par des héros du monde moderne. Ces instruments salués par la jeunesse permirent aux marques de montrer l'étendue de leur savoir-faire technique et leur capacité à produire des garde-temps d’une extrême fiabilité. Naturellement, l'étanchéité comme la robustesse étaient de puissants arguments commerciaux.

Des Manufactures comme Blancpain avec la 'Fifty Fathoms", ou Rolex avec "l’Oyster Perpetual Submariner" ont tiré bénéfice dès 1953 de l’image de résistance et de sportivité que ces spécimens dégageaient et qui restent plus que jamais d'actualité, puisque la "Fifty Fathoms" figure parmi les références les plus appréciées et que Rolex a présenté cette année au Baselworld la toute nouvelle "Oyster Perpetual Submariner Date" avec une lunette en Cerachrom®.

Aujourd'hui encore, ces réalisations repensées et adaptées au monde moderne, mais dépassées par les ordinateurs de plongée dans le secteur purement professionnel, demeurent des références incontournables au même titre que la "Seamaster" d'Omega portée par James Bond ou l'iconique "Seamaster Ploprof 1 200", les versions spécialisées de la collection "Diver's 1000 mètres" proposée par Seiko, ou la série des dernières montres extraordinaires d'Oris dédiées aux militaires italiens du commando Col Moschin.


Question de réglementation :

Quand Rolex perdit son monopole du fait que son invention brevetée tombait dans le domaine public, toutes les marques obtinrent, de facto, l'autorisation d'équiper leurs créations de ce système de couronne vissée considéré comme le plus sûr au niveau de l'étanchéité.

Pour une utilisation à plus large spectre comme le ski nautique, la voile et à fortiori la plongée, l’amateur se tournera vers des modèles à couronne et poussoirs vissés pour les chronos, dont l'étanchéité sera au moins garantie jusqu'à 100 mètres.

Dans ce registre, la liste des possibles est immense car toutes les marques ou presque, des plus petites aux plus célèbres, ont dans leur collection au moins une montre de plongée digne de ce nom. Difficile alors de faire le choix entre une "Aquaracer 500 Chrono" de TAG Heuer avec son Calibre 16, le tout dernier "Chrono 500" de Victorinox Swiss Army équipés d'un calibre à quartz, ou d'autres modèles tous plus séduisants les uns que les autres. Dans ce registre, certains apprécieront l’option choisie par Jaeger-LeCoultre pour la collection "Master Compressor", de se rapprocher d'un geste aussi naturel qu'ouvrir ou fermer un robinet, afin de sécuriser la manipulation de la couronne et des poussoirs. A ce propos, les "Master Compressor Navy SEALs" ont intégré ce détail puisqu'il est une part de la fonctionnalité recherchée.

En ce qui concerne la plongée autonome, outre des choix judicieux comme le nouveau chrono "Tudor Hydronaut II", les adeptes se muniront de garde-temps ludiques tels que les nouvelles TechnoMarine "Cruise Sport" de 45 mm de diamètre, ou opteront pour des versions plus branchées comme la "Tambour Louis Vuitton Diving" au catalogue du célèbre maroquinier, la "Dior Chiffre Rouge D02" ou le superbe "Chrono Clipper Automatique" d'Hermès.

II existe aussi des pièces très avancées techniquement, telle la RM 028 de Richard Mille. A moins que pour une sécurité totale dans l’action, ils privilégient un ordinateur dédié comme la "Sea-Touch" de Tissot ou la nouvelle "Yema Sous Marine Snorkeling", ces deux pièces offrant des fonctionnalités incroyables plus ou moins équivalentes à ce qu'offrent les ordinateurs dédiés. Des amateurs plus aisés pourront s'en remettre à des pièces subjuguantes redécouvertes à GTE, (Geneva Time Exhibition) en janvier dernier à Genève. S'y côtoyaient divers jeunes créateurs dont le fondateur de la marque Linde Werdelin, société mettant en œuvre une montre mécanique à laquelle on peut associer par clippage un ordinateur de plongée très performant. D'accord, cela ne vaudra jamais d'avoir au poignet l'Aquatimer Deep Two" d'IWC que l’on sait dotée d'un profondimètre mécanique. Cette référence, présentée l’an passé et depuis peu en boutique, sera assurément l'arme ultime pour qui recherche un garde-temps que seuls quelques rares chanceux pourront espérer porter.


Dans tous les cas et quel que soit le choix, sera bon de vérifier que sa montre de plongée répond bien à la norme ISO 6425 de 1996 (norme NIHS 92-11). En effet, pour être conformes à leur appellation de montre de plongée, elles doivent réunir plusieurs conditions : une étanchéité égale ou supérieure à 100 mètres, un système de contrôle du temps de plongée gradué en minutes (une lunette tournante interne ou externe) protégé contre toute erreur de manipulation.

D'autre part, le boîtier, nécessairement antimagnétique et résistant à la corrosion, doit impérativement arborer un cadran lisible dans l'obscurité et un indicateur de fonctionnement comme une trotteuse ou un système d'indication de fin de vie de la pile (pour les modèles à quartz). Le mieux étant l'ennemi du pire, les puristes s'en remettront toujours à des modèles éprouvés par très grande profondeur, dont la qualité, répondant là encore à une norme ISO spécifique, aura été validée par des professionnels.

Dans ce domaine, la Rolex "Oyster Perpetual Sea-Dweller Deepsea", étanche à 3900 mètres et mise au point avec la collaboration de la COMEX (organisme spécialisé dans les plongées à grande profondeur) fera toujours le bonheur d'un public qui exige le meilleur outil dans sa catégorie de produit. Si les montres Ralf Tech, connues encore des seuls initiés, répondent bien sûr à la fameuse norme ISO, les puristes retiendront particulièrement les montres étanches jusqu'à 500 mètres comme les Bell & Ross BRO2, ou bien à 1000 mètres comme la Porsche Design "P'6780 Diver" qui, comme l'Eterna "Kontiki Diver", possède un boîtier spécifique avec un carter étanche s'intégrant dans une carrure de protection.


Conclusion :

Disons que l'étanchéité représente la meilleure des sécurités pour une montre, mais que la prévoyance et l’attention demeurent essentielles à sa préservation. A cet égard, avant la mise en application de la future norme ISO 22810 qui imposera au constructeur d'assurer l'étanchéité de la pièce vendue durant la période de garantie, nous encourageons les amateurs désireux de tester la leur en condition réelle d'utilisation, à la faire vérifier systématiquement par un horloger patenté, à l'approche de l'été.